Transposer une journée de formation en distanciel sans perdre le sel de ma vie
Ça y est, j’ai basculé. J’ai rejoint ceux qui s’efforcent de continuer leur métier dans des modalités digitales.
En Avril, dans un monde pre-Covid, j’enseigne les business models innovants à des étudiants en dernière année de leur formation à l’expertise comptable au Lycée Vernant à Sèvres, et ce, au travers d’une étude de cas qui présente comment et pourquoi Michelin a développé une activité de contrat kilométrique à destination des plus gros transporteurs routiers d’Europe en parallèle de son activité historique de production et vente de pneu poids lourds. Un sujet passionnant (si si je vous l’assure !) et que j’adore puisque cela a été mon sujet de thèse (la vie est pleine de surprises, mais ce n’est pas l’objet de cet article).
D’ordinaire, l’intérêt de cette journée repose sur la rencontre entre ces étudiants (de futurs experts comptables), cette modalité pédagogique (l’étude de cas très pratiquée en école de commerce mais pas dans leur contexte) et ce sujet un peu improbable (parce qu’on parle quand même de millimètre de gomme restant comme un levier de profitabilité ;-).
J’apprécie cette rencontre. La journée est très active: je constitue des équipes qui, tout au long de la journée, vont réfléchir à mes côtés aux dimensions du diagnostic stratégique, aux difficultés de mise en œuvre et aux raisons pour lesquelles Michelin a fait ce choix stratégique audacieux. Nous terminons d’ordinaire la journée avec chacun des groupes, devenu pour l’occasion consultants d’un jour, qui présente sa recommandation. C’est un exercice assez neuf pour ces étudiants et pas simple quand il faut justifier son propos avec des arguments construits tandis que le reste de la classe (et moi-même) endossons le rôle du Comex de Michelin et questionnons le cabinet sur la pertinence de ses recommandations. J’enseigne depuis 5 ans dans ces conditions, et c’est toujours une journée dynamique dont les étudiants gardent un très bon souvenir.
Au moment de transformer cette journée d’enseignement en digital, je découvre (sans en avoir vraiment pris conscience avant) une foultitude de petits plaisirs qui caractérisent ma pratique :
- Le plaisir d’accueillir les bras ouverts et avec le sourire une classe d’étudiants qui ne me connaissent pas et se demandent à quelle sauce ils vont être mangés,
- Le plaisir de bouger les tables et chaises et de les aider à se constituer en petites équipes ; matérialiser par l’organisation de la salle que nous serons dans un temps actif d’échanges plus que d’enseignement descendant
- Le plaisir de leur apporter des feutres et du papier et de leur demander de se choisir un nom d’équipe et de m’expliquer en une phrase compréhensible par un enfant de 12 ans de quoi parle cette étude de cas
- Le plaisir de nous mettre en scène pour incarner les relations entre, Michelin, les clients distributeurs et les clients transporteurs en utilisant les étudiants et leur positionnement dans la classe. Plaisir ensuite de me balader dans l’espace ( j’ai un style d’enseignement très physique) : d’aller vers les sous-groupes recueillir leur idées et remonter ensuite vers le tableau pour les noter
- D’ailleurs on s’en parle du plaisir du marqueur et du tableau blanc ? De la légèreté du rebond : saisir une idée au vol, improviser une parenthèse, explorer un modèle et noter tout cela avec des mots et des schémas
- Le plaisir aussi de visiter les sous-groupes, de les écouter et assise de manière informelle sur la table, de leur poser des questions qui grattent: celles qui soulignent les limites ou insuffisances de la logique de leur raisonnement et les invitent par un sourire à poursuivre…
- Tous ces petites plaisirs qui font que j’aime mon métier
Et là, que tu sois Zoom, Skype, Teams, Klaxoon, ou Mural, je ne vois pas comment tu pourrais te substituer à tous ces plaisirs-là. Pendant un moment, je ne sais même pas si j’ai le cœur d’essayer… Mais le monde de demain sera digital (parait-il) alors ne reste pas comme une vieille moule sur ton rocher et tente une réinterprétation.
Je m’aventure dans cet exercice de transposition en réunissant quelques ressources précieuses :
- Une alliée pour apprendre et tester avec moi et me donner confiance en la personne de Marie-Violaine (merci beaucoup de ton aide),
- Du jus de cerveau pour questionner les objectifs de cette journée et les ajuster (surtout réduire) au vue du nouveau contexte,
- Des apprentissages de celles et ceux qui, déjà, ont essuyé les plâtres du collaboratif digital (merci Gaële Lavoué, Marine Sonilhac et Thibaud Gangloff)
- De ma grande maîtrise du sujet que j’enseigne depuis maintenant 10 ans (et sur lequel j’ai quand même passé 4 ans de ma vie;-) )
- De la forte envie d’expérimenter (et d’apprendre) pour demain le mettre au service de mes clients dans mon métier de facilitatrice,
En chemin s’affirment quelques convictions :
- La conviction que plus on fera simple en termes d’outils, plus ce sera confortable et aidant pour les étudiants. Mais combien est-il tentant de se perdre dans toutes ces options / fonctionnalités…
- La conviction qu’il faut trouver des modalités interactives (au risque de tous nous momifier sur la chaise au bout d’une journée — ah oui parce que cela va durer de 9h à 12h et 14h à 17h — argh !)
- La conviction que c’est une chance d’avoir un petit groupe qui permette d’imaginer des temps de conversations en plénière (sans avoir à muter, dé-muter, s’enliser…)
Ensuite on se lance et le résultat n’est pas si mal. Mais je me propose de vous le raconter dans un prochain post :-) La petite a fini sa sieste et la seule réalité certaine du télé-travail, c’est qu’il se déploie dans un temps interrompu, familial, et un brin chaotique.
Portez-vous bien.
Article écrit en pleine crise covid, Round 1. Avril 2020